Texte écrit à l'origine par Bernard GLACIAL en se référant au livre de Jean-Luc MARAIS « Les sociétés d’hommes » publié aux éditions Ivan Davy, au cahier « la maison des hommes en Anjou » de D. Brunetière édité dans les cahiers de Jussieu université Paris VII et d’après les archives de la Fédération de Boule de Fort
La Boule de Fort a une réelle originalité et Anjou mais notre région qui la pratique ne fait pas beaucoup parler d’elle. Des résidents ignorent tout de cette passion et d’autres la méprisent. Les gens de notre époque sont incertains de leur avenir et de nombreuses valeurs sociales ont disparu. C’est peut être pourquoi certains essaient de retourner aux sources en faisant revivre des traditions éteintes et en applaudissant en spectateurs, un folklore stéréotypé. La Boule de Fort, quant à elle, reste une tradition bien vivante, cherchant ses origines dans les siècles passés. L’amitié, la fraternité, la convivialité, le respect de soi même et des autres : voilà des valeurs encore bien présentes aujourd'hui dans les sociétés. Nos sociétés demeurent des points de repères sociaux et des pôles d’animation dans les villages ou dans les quartiers.
Les sociétés
Des groupements d’amis
Les sociétés apparaissent dans les villes angevines à la fin du 18ème siècle, elles expriment une forme nouvelle de vie en groupe. Les sociétés sont crées alors par des notables puis se sont peu à peu étendues aux différents groupes sociaux et professionnels. Ce sont des associations d’hommes fermées sur elles-mêmes, existant dans le but de se retrouver entre amis de sont choix. Les membres des autres sociétés ne sont pas admis et les femmes en sont exclues, ainsi le prouvent les extraits de quelques règlements intérieurs :
« Aucun des sociétaires ne pourra se réunir à d’autres sociétés dans la commune faute par lui, il sera expulsé de droit » 1843 La grande Société, Le Plessis Grammoire
« Toutes femmes ou enfants qui viendront chercher leur parent ou ami ne pourront rester dans la buvette plus d’une demi-heure sous peine de 25 centimes d’amende » 1833 Société Pierre Lise à Angers
Les règlements intérieurs sont une suite d’obligations et d’interdits, les contrevenants sont passibles d’amendes dont les montants sont votés à chaque assemblée générale.
Ces groupements d’amis deviennent rapidement des communautés d’idées. Le clergé voit d’un mauvais œil ses paroissiens déserter les vêpres pour aller faire un tour à la société. Les idées républicaines y sont souvent débattues et approuvées. Le fonctionnement interne est très démocratique, c’est le Président, élu par les membres, qui détient le pouvoir et non une autorité extérieure. Le clergé contraint certaines sociétés de son influence à rester fermées pendant les offices. D’autres sociétés revendiquent la laïcité. Les uns et les autres ne tardent pas à voir dans les sociétés un moyen de prolonger l’encadrement des loisirs commencé dans leur patronage d’enfants.
Des lieux de loisirs
Les hommes s’y retrouvent ensuite pour pratiquer différentes activités culturelles et de loisirs. Le premier local est une salle de réunion à laquelle une buvette puis une cave sont vite adjointes. Un concierge assure l’entretien des locaux et le service des consommations. Au 19ème siècle un jeu nouveau se développe : la Boule de Fort. Ce jeu devient une animation très répandue dans les sociétés. On joue aux boules en plein air entre deux jardins ou dans un coin de champ.
Les sociétés prospèrent et s’étendent dans la campagne. Il faudra attendre la fin du 19ème siècle pour voir se multiplier les jeux couverts. Les bâtiments ont, depuis cette époque gardés leur architecture caractéristique et leur situation géographique ce qui explique qu’il est souvent difficile de voir la société quand on se promène dans la rue. Le nombre de sociétés, essentiellement des sociétés de Boule de Fort, ne cesse de s’accroître pour atteindre le chiffre de 1000, réparties dans 287 communes, sur le département de Maine et Loire en 1900 ( on en compte alors 31 à Mazé, presque autant à Beaufort et à Saint Mathurin et 15 à Corné).
La Belle Époque marque l’apogée des sociétés mais la première guerre mondiale allait marquer un frein à cette croissance. Beaucoup de sociétaires sont mobilisés et certains bâtiments sont réquisitionnés, ceux qui restent ne peuvent assurer toutes les charges, bien des propriétaires et membres influents meurent au front. Après la guerre, les successions sont difficiles, des sociétés sont mises en vente par les propriétaires privés et elles n’ont pas les moyens de se rendre acquéreur de leurs bâtiments. Le pouvoir d’achat est en augmentation et le prix du vin devient plus abordable. Il s’en suit une plus grande consommation de boisson, ce qui dégrade l’image des sociétés. Difficultés financières, vieillissement des membres, diminution des effectifs, mauvaise image : tout concorde pour mettre les sociétés en état de crise. Les trente années glorieuses qui ont suivi la Libération ont conduit à la recherche d’un confort individuel au détriment des regroupements sociaux. L’américanisation des loisirs inhibe les jeux traditionnels.
En 1970, le Maine et Loire ne compte plus que 350 sociétés. Un renouveau s’opère à partir de cette date. Les sociétés s’ouvrent aux « étrangers », aux femmes et aux enfants. De nombreuses compétitions fédérales sont organisées. Des commerçants, des artisans, des industriels, des notables dotent des concours. Plus qu’un loisir, la Boule de Fort devient une compétition. Un changement est amorcé, le développement des challenges dans le jeu de Boule de Fort à pris une place de plus en plus importante dans la vie des sociétés. L’esprit sportif est maintenant une valeur supplémentaire qu’il faut mettre à l’actif du sociétaire joueur de boule.
Des investissements importants ont été entrepris dans les locaux pour pouvoir accueillir les sociétaires et leurs invités dans de bonnes conditions de confort : mobilier, chauffage, sanitaire, isolation ventilation, revêtement, peinture, décoration, etc.
Pour payer ces charges il faut des recettes. Elles proviennent de la cotisation des membres, de la vente des boissons, du tronc des parties de boule et parfois de subventions. C’est assurément la buvette qui assure le maximum des ressources, le montant des cotisations restant d’un coût très modeste.
Des communes, ou des communautés de communes, on compris l’intérêt d’avoir un société sur leur territoire. Elles ont racheté ou construits des bâtiments qu’elles entretiennent. Ainsi, la vie sociale, qui accompagne maintenant la pratique de la Boule de Fort, reste un élément d’importance dans l’animation du village ou du quartier.
Pourquoi ce lien entre la société et le jeu de boule ? On peut très bien jouer à la boule en dehors d’une organisation sociale. L’originalité de la Boule de Fort tient autant de son environnement social que la curiosité de son jeu.
En 2002, le Maine et Loire compte encore 312 sociétés et il en existe 72 dans les départements limitrophes. La plus à l’Est est située à Vouvray en Touraine, la plus à l’Ouest à Saint Nazaire en Bretagne, au Nord c’est le Mans dans le Maine et au Sud Vezins dans les Mauges, mais on parle d’une création à Cholet.
Vous qui lisez ces quelques lignes et qui ne connaissez ni la pratique de la Boule de Fort, ni l’ambiance des Sociétés, allez donc faire un petit tour à l’Union, aux Amis Réunis, à La Prospérité ou bien encore à la Renaissance ou La Concorde. Présentez-vous, vous serez bien accueilli et vous aurez sans doute l’envie de devenir sociétaire. Pour être sociétaire il vous faudra trouver en principe 2 parrains avant d’être voté par l’assemblée générale.
Les mises en bouteille.
Il ne peut pas y avoir de rencontre dans une société sans que l’on boive un coup. Le bar est achalandé et on peut y trouver toute sortes de boissons. C’est le vin qui a le plus de succès mais on ne boit que du bon, il vient tout droit de chez le viticulteur. Il faut d’abord se déplacer pour goûter et apprécier le vin qui sera mis à la disposition des sociétaires. Le contenu arrive en vrac et la mise en bouteille se fait à la société. Ce cérémonial revêt un caractère liturgique car il ne faut pas que le consommateur puisse faire le moindre reproche. Des équipes sont formées pour faire les mises en bouteilles et se retrouvent périodiquement. Un sociétaire lave les bouteilles, un autre les remplies quand elles sont bien égouttées, un troisième est délégué au bouchage, le dernier range délicatement les bouteilles dans les casiers. De temps en temps on fait une pose pour se rendre compte de la qualité du produit. Une fois le travail terminé, on mange ensemble dans la salle avant de faire une partie de boule. Cela fait un après midi ou une soirée d’animation de plus à la société. Il n’est pas rare que les femmes soient participantes, sans doute pour préparer le repas !
Le jeu de la Boule de Fort.
Citations
Le premier écrit connu de nos jours et faisant état d’un jeu de boule dans la région date de 1660. Rue des Tanneries à Angers à proximité d’un jeu de paume entouré de jardins « dans l’un desquels jardins est un jeu de boule couvert d’ardoise, et un petit logement basty sous comble »
Emile JOULAIN cite un texte de FURETIERES (1655) à propos du joueur de boule : « Il examine en elle le faible et le fort »
Dans un dictionnaire ancien sur le jeu de boule en général, le même FURETIERE en 1691 précise « Le fort de la boule est l’endroit où est le bois est le plus serré et, par conséquent, le plus lourd »
Les traces d’un bail signé en 1767, à Angers, font apparaître : « Même pourront faire des jeux de boule en remettant à la fin du bail les choses en même état »
Mythes et légendes
Pourquoi ce jeu ? D’où provient-il ?
Certains affirment que ce sont les mariniers de la Loire qui auraient imaginé le jeu de la Boule de Fort en jouant avec des grosses billes dans le fond des gabares. Comment auraient-ils pu vaincre les obstacles formés par les nervures qui forment la charpente des bateaux ? Cette affirmation paraît difficilement crédible.
D’autres se plaisent à dire que les forçats de Jeanne de Laval, qui avaient été amené pour construire la Levée de la Loire, passaient leur temps libre à jouer dans les fossés avec leurs boulets. Cela voudrait alors dire qu’ils étaient libres de leur mouvement et qu’ils avaient tout loisir de s’évader. Cette hypothèse ne peut être que légendaire.
Sous le Premier Empire, des grognards espagnols, de fins maçons, auraient été enrôlés pour renforcer la Levée. Ils auraient amené avec eux des boules de bois avec lesquelles ils jouaient dans les cales des bateaux. Avec de l’imagination on peut effectivement penser que la coupe d’un jeu de boule de Fort ressemble à celle des bateaux à fond plats qui naviguaient à cette époque sur la Loire.
On trouve pourtant des jeux de boules apparentés à la Boule de Fort dans différentes régions de France et d’Europe mais qui ne sont pas riveraines d’un fleuve navigable : en Bretagne (La Boule de Morlaix), en Flandre (La Bourle) et en Angleterre (English bowls) pour ne citer que ceux là.
André FOUCAULT écrivain et historien local aurait voulu trouver la clé de l’énigme : « Concernant l’incertitude qui demeure sur l’origine de la Boule de Fort, un souvenir me revient. J’ai fait allusion dans mon livre « l’Angevine », à des gaillards de Château-Gontier qui avaient parlé d’aller, en jouant aux boules, de Château- Gontier au Lion d’Angers (25 kilomètres) et qui avaient gagné leur pari. Or le pari a été réellement fait et gagné ; j’ai connu un des joueurs. L’affaire a du se passer avant 1850. A cette époque, les routes n’étaient pas bitumées, ni même lisses. Impossible d’imaginer que le jeu se soit poursuivi avec des Boules de Fort et ce devait être des boules rondes, moins rondes encore, il est vrai, que les joueurs eux-mêmes en arrivant au Lion d’Angers ! Et pourtant, à Château-Gontier le jeu de Boule de Fort, couvert et admirablement entretenu, est traditionnel et notamment au Cercle de Flore . Alors,… »
Il n’existe plus de sociétés de Boule de Fort à Château-Gontier. Il n’en reste plus qu’une seule en Mayenne : Les Amis Réunis de Bouère.
L’histoire vraie
Il faut bien admettre que, de tout temps, l’homme a pratiqué des jeux d’extérieur avec les objets qu’il avait sous la main. L’environnement du jeu était adapté au terrain et la règle coïncidait avec le tempérament des joueurs. C’est ce qui explique que les jeux traditionnels restent ancrés dans les patrimoines régionaux. Beaucoup d’exemples nous sont rapportés dès l’époque Romaine. Ce furent souvent des jeux de lancer avec des billes de bois plus ou moins rondes, des galets plus ou moins plats, des bouts de fer plus ou moins tordus. Suivant l’état du terrain on faisait rouler à la main ou à l’aide d’un bâton ou bien d’une ficelle, on lançait près d’un but à approcher, on tirait pour faire tomber une cible, etc. De là sont venus les jeux de boules, de palets, de quilles et d’autres encore qui se pratiquent aujourd’hui.
En 1900, dans les Mauges on ne jouait pas avec les mêmes boules que dans la vallée de la Loire et, dans le Baugeois, on utilisait des grosses boules en bois de gaïac dont le diamètre pouvait atteindre 20 cm et qui pesaient jusqu’à 6kg. Il existait encore 3 sociétés, en 1945, qui pratiquaient le jeu avec des boules de gaïac au Vieil Baugé. Toutes ces boules utilisées dans la grande région Angevine avaient néanmoins une forme particulière, elles n’étaient pas toute à fait sphériques et, pour les diriger il n’était pas possible de jouer sur un terrain plan. Ces boules étaient souvent des billes de roulement usagées qui provenait des moulins qui jalonnaient la Loire. Les billes de gaïac servaient de rotule dans la rotation des axes verticaux de grandes dimensions. Le terrain de jeu a sans doute été un chemin creux avant d’être un coin de jardin aménagé, battu et roulé. Ce jeu de boule s’est développé ensuite là ou la qualité de la terre pouvait le permettre, souple et argileuse à la fois : c’est à dire en Vallée. Le premier challenge public de boule, les 16 et 17 juillet 1905 à Asnières, a montré qu’il n’était pas possible de jouer avec des boules aussi différentes les unes des autres. La Fédération a été fondée en 1907 dans le but de réglementer le jeu de la Boule de Fort. La forme de la boule et la nature de la piste se sont uniformisées petit à petit, en référence aux consignes fédérales, pour devenir ce que l’on connaît aujourd’hui.
Le gaïac est un bois d’Amérique Centrale. D’autres types de boule sont également fait en bois de gaïac, dans d’autres régions.
Le Terrain
D’abord c’est un jeu de plein air avec une piste en terre battue qui, plus tard, à parfois été goudronnée. Les jeux ont ensuite été couverts, ce qui a permis de jouer à l’abri des intempéries et qui a aussi permis de maintenir la piste parfaitement lisse et polie. Les dimensions des terrains initialement très variables doivent maintenant avoir une longueur comprise entre 18 et 24m et une largeur de 5 à 6m. Les bords sont relevés et leur pente dépend du gabarit du « faiseux d’jeu ».
Il fallait être expert pour arroser le jeu et le rouler au moins une fois par semaine. Les bons « rouleux d’jeux » étaient recherchés, assuraient la bonne qualité du « roule » et la réputation de la société. L’état du « roule » s’il dépend de l’entretien du terrain est aussi fonction des conditions climatiques, même dans les jeux couverts. La terre sablo-argileuse nécessaire à la réalisation est extraite dans la commune du Guédéniau, à proximité de la forêt de Chandelais. L’entretien des jeux de terre est une affaire délicate, elle demande du savoir-faire, une grande disponibilité et une grande fraîcheur physique de la part du spécialiste. Pour ces raisons non respectées, des jeux sont abandonnés.
3 sociétés ont existé au Guédéniau, mais toutes ont disparu dans ce village qui a marqué la Boule de Fort dans l’histoire.
A la fin des années 1960, les évolutions techniques ont permis de découvrir des nouveaux matériaux faits de résines synthétiques (matières plastiques). Les terrains sont devenus moins délicats à entretenir. Il faut cependant penser à les refaire en moyenne tous les 10ans.
Des revêtements plus fiables ont aussi été réalisés avec des plaques de linoléum collées sur une assise en béton. Ces revêtements n’ont pas fait recette du fait de la technique de collage mal maîtrisée et du fait de la tenue de la boule qui ne frotte pas pareillement sur la surface.
Le Conseil Général de Maine et Loire participe financièrement, pour une part importante, dans la réfection des jeux.
La boule
L’originalité de cette boule tient dans le fait qu’elle est méplate avec un côté « faible » légèrement évidé en son centre pour lui enlever du poids. L’autre côte plus lourd porte le nom de « fort »
Les Boules de Fort utilisées aujourd’hui sont ferrées. Leur diamètre doit être compris entre 123 et 127mm, leur épaisseur ne doit pas dépasser 100mm et leur poids moyen est de 1,3kg avec une tolérance de 100g.
La première boule ferrée aurait été cerclée en 1865 par un forgeron de Mazé nommé PINEAU. THIBERGE d’Angers fut le premier tourneur de Boule de Fort connu, il ferra sa première boule en 1871.
Le corps des premières boules, fabriquées spécialement pour être des Boule de Fort, est fait en bois local : surtout du cormier mais aussi du frêne ou du buis. Si le bois est toujours préféré par de nombreux joueurs, le marché actuel propose également des boules réalisées avec des matières plastiques.
Le jeu.
Le jeu de la boule de fort demande de l’adresse, de la concentration, de la patience mais aussi de la souplesse dans le geste et des jambes solides pour parcourir des dizaines d’aller et retour pendant une partie. Les parties se jouent normalement en 10 points et peuvent durer entre une et trois heures.
Les parties amicales
Le jeu de la Boule de Fort était donc à l’origine une activité de loisirs proposée aux membres des sociétés. Les sociétaires s’adonnaient à ce jeu surtout le dimanche après-midi (à la place des vêpres). 8 à 12 joueurs pouvaient être présents ensemble sur le terrain et ne jouaient qu’avec une seule boule. Une fois la boule lancée, il fallait bien une demi-heure d’attente avant de recommencer un autre coup. Pendant ce temps là, le concierge « faisait sauter » un grand nombre de bouchons. On buvait bon, seulement du vin d'Anjou. Il était bien difficile de vivre la partie et de se motiver au jeu.
Une partie vite faite en 6 points entre deux joueurs pouvait être le moyen pour le gagnant de se faire payer un verre par le perdant. De nos jours les parties amicales se disputent en semaine, de jour, avec des sociétaires retraités. Le jeu est parfois réservé pour faire une partie entre amis. Le dimanche est souvent l’occasion de jouer des parties en famille.
Les Challenges
Le premier concours publique a eu les 16 et 17 juillet 1905 a Asnières Bois Colombe, à l’initiative du journal « l’Angevin de Paris ». Il existe en effet une société « la Boule Angevine et Tourangelle », située avenue Dianoux, qui regroupe les Angevins de la capitale.
En ce début du 20ème siècle un changement est amorcé : le jeu de Boule de Fort prend une place de plus en plus importante dans l’animation des sociétés. Des challenges s’organisent entre les sociétés, surtout en secteur urbain. Le développement de la compétition contribue à maintenir de l’activité et petit à petit les sociétés rurales adhèrent à cet esprit sportif. C’est surtout à partir de 1950 que les concours se multiplient, soit à l’intérieur des sociétés entre sociétaires ou avec des invités, soit en associant plusieurs sociétés.
Suivant leur courant de pensée des sociétés se regroupent au sein de Fédérations qui organisent leurs propres challenges. Fédération des Amicales Laïques en 1912 et Fédération des Cercles Catholiques en 1926. Stupéfaction, en 1938 un même joueur gagne les 2 challenges : traîtrise pour les uns ou lâchage pour les autres, l’histoire ne le dit pas.
D’autres Fédérations se font jour pour mettre sur pieds des challenges avec des sociétés d’un même secteur géographique: fédération du Saumurois – fédération rurale de Trélazé – fédération des ponts de Cé – fédération de la ville d’Angers - amicale des boulistes ruraux – fédération de la Sarthe – fédération de l’Indre et Loire – l’Entraide dans le canton de Beaufort- fédération du Segréen. Certaines de ces fédérations ont disparu et d’autres ont agrandi leur territoire d’influence.
Entre 1907 et 1991, le challenge Cointreau est demeuré la compétition la plus prestigieuse. Toutes les sociétés adhérentes à la Fédération se faisaient un devoir d’inscrire une équipe. Le jour de la grande finale était un événement exceptionnel pour la société qui l’accueillait. Les vainqueurs gagnaient l’estime de tous les joueurs, ils étaient reconnus au titre de champions. Prétextant les obligations de la Loi EVIN, la maison COINTREAU a retiré sa participation en 1992 et d’autres challenges Fédéraux ont pris le relais : challenge de l’UAP de 1992 à 1997, challenge du Conseil Général de Maine et Loire depuis 1993 et le challenge de la cave des Vignerons de Saumur depuis 2000. Le challenge du Crédit Agricole a déjà 30 années d’existence. Conscient de sa responsabilité pour promouvoir le jeu de la boule de fort, la Fédération s’est engagée a relancé un challenge réservé aux seuls juniors. Ce challenge a pu voir le jour grâce au concours de la Banque Atlantique. C’est une équipe du Prieuré de Fontaine Guérin, formée par Yohann CHOLETAIS et Jonathan RAVENEAU, qui a remportée la finale de la première édition en septembre 2002.
On ne compte pas moins de 200 challenges ayant un caractère public, c’est à dire qui sont ouverts à tous les joueurs. Ces challenges sont dotés en prix par des entrepreneurs locaux, des commerçants, des banques, des notables ou des élus politiques. Ils sont à l’initiative d’une société organisatrice mais parfois plusieurs sociétés s’associent pour diminuer la durée de la compétition. Un challenge rassemblant 150 joueurs inscrits peut se dérouler sur une période de 2 mois. Les parties se jouent généralement le week-end à partir du vendredi soir. L’inscription à un challenge est payante, en principe 4€ par joueur. Au moment de la finale et de la distribution des prix, 100 personnes au moins sont rassemblées. Cela explique pourquoi les notables refusent rarement une invitation, les rassemblements autour de la Boule de Fort étant toujours très populaires.
Le sport a-t-il sauvé les sociétés ? Cette interrogation est la conclusion de Jean Luc MARAIS dans son livre : Les sociétés d’Hommes. Oui, certainement, mais une dérive existe. Les différentes compétitions ont sûrement apporté un dynamisme mais la multiplication des challenges les met en concurrence. Pour attirer les joueurs, il faut augmenter les prix. Parmi les 45000 ou 50000 sociétaires, combien sont ils compétitifs ? Quelques petites dizaines seulement. Pour être compétitif, il faut pratiquer fois plusieurs fois par semaine et bien peu peuvent se le permettre. Le joueur qui s’engage dans un challenge le fait avec l’espoir d’aller le plus loin possible, mais s’il n’est pas compétitif il aura du mal à gagner la première partie.
Les challenges deviendraient-ils réservés pour quelques-uns seulement ? La Boule de Fort doit aussi rester un jeu populaire socialisant, ou chacun est à même de s’exprimer.
Le joueur de boule
De véritables champions, accumulant les victoires, font la fierté de leur société. L’image que l’on voudrait donner du joueur de boule est trop souvent faussée par les rumeurs.
Le jeu de boule est un sport de souplesse plein de délicatesse. Il demande à celui qui le pratique des efforts de concentration, une maîtrise de soi, une confiance parfaite dans son partenaire et un profond respect de l’adversaire. Une partie de boule est auto-arbitrée, il n’est pas besoin qu’une tierce personne fasse respecter les règles et juge les litiges.
Le joueur doit très tôt prendre corps avec la piste : roule du jeu, pente qui tire ou qui lâche, repères pour le tir, charges à serrer ou à rentrer, renvoi de la planche et défauts du jeu.
Pour rouler, le joueur pose délicatement et dose la mesure de son geste tout en étant souple sur ses jambes. Il met en communion le fort de la boule, la pente choisie et la longueur du coup. Il imagine la trajectoire et tente de la réussir.
Pour tirer il doit mettre en harmonie la force de son lancer et sa position sur le côté du terrain.
Ce n’est qu’après avoir maîtrisé ces différents aspects du jeu qu’il pourra prétendre faire de beaux points et gagner une partie.
Le jeu ne demande pas d’efforts physiques importants, mais surtout souplesse et concentration. Une partie de boule peut néanmoins durer plusieurs heures ce qui nécessite de rester debout longtemps et faire de nombreux pas dans le jeu.
On peut pratiquer la Boule de Fort à tous les âges mais les jeux de boule ont souvent été réservés aux personnes âgées.
L'âge moyen du joueur de boule à maintenant fortement rajeuni et les moins âgés en font voir de toutes les couleurs aux vieux. Ce sont souvent des équipes formées par de jeunes joueurs qui gagnent les challenges. Il faut dire que les temps libres des jeunes sont très occupés et qu’ils préfèrent pratiquer le soir, mais la partie de boule peut se terminer très tard, à une heure qui ne correspond pas aux habitudes des joueurs âgés.
Les enfants s’adaptent très bien à la pratique du jeu de Boule de Fort qui est une activité ludique très formatrice. Les sociétés ne leur sont pas toujours ouvertes mais des efforts sont remarqués ici ou là. Des écoles de boule voient le jour, des centres aérés pratiquent cette activité et des enseignants s’y intéressent.
Il est possible de faire jouer ensemble un enfant et un adulte, et cela n’est pas courant dans les disciplines sportives. Papy est toujours très content de donner des leçons à son petit garçon et celui ci est très appliqué pour respecter les consignes. La Boule de Fort est un jeu qui convient aux enfants et qui leur plait, de nombreuses expériences l’ont démontré.
Le voyage à Brion
Dans bien des jeux traditionnels, le joueur qui n’avait pas marqué de points dans sa partie était contraint d’embrasser les fesses à Fanny. Une Fanny est respectueusement conservée dans un petit placard, fermé bien souvent à clé, à l’écart des regards voyeurs. Elle est dessinée et peinte, avec plus ou moins bon goût, par un artiste local. Des affiches de camionneurs ont remplacé quelquefois la peinture défraîchie, pour donner à Fanny une silhouette et des formes plus alléchantes pour ses messieurs. Ces figures compromettantes étaient bien évidemment bannies dans les sociétés qui étaient sous l’influence du clergé. Le tintement d’une cloche prévenait les sociétaires qu’il y avait une Fanny à embrasser. On se pressait pour assister à la cérémonie. Le joueur concerné devait se décoiffer et s’agenouiller pour « biser Fanny ». Les personnes présentes n’étaient pas accourues pour être simplement des spectateurs, mais parce que le « biseux d’Fanny » devait aussi payer une tournée générale.
A Brion, une Fanny bien en chair paraît-il, se serait porter volontaire pour soulever ses jupes et se faire embrasser le derrière par des malheureux perdants. Depuis ce temps là, quand on fait zéro point, on est bon pour faire un voyage à Brion, dans les propos tout au moins. Cette expression est toujours d’actualité et les sociétés de Brion organisent un challenge spécifique pour les « Brionneux », c’est à dire pour les joueurs qui, dans l’année, n’ont pas marqué de point en faisant une partie de boule.
Le village de Brion peut s’enorgueillir de compter deux confréries qui témoignent du jeu de la Boule de Fort : la Confrérie des Brionneux et la Confrérie des Pèlerins de Brion.
La Fédération
VÉTAULT, journaliste au Petit Journal, couvrait l’événement du premier challenge à Asnières et lança l’idée de constituer une fédération sportive des sociétés de Boule de Fort. Cette fédération devait, dans son esprit, remplir le même rôle que l’Union Vélocipédique de France. L’idée vient de l’extérieur, elle paraît donc suspecte aux sociétaires de l’Anjou. Un congrès des joueurs de boule a lieu à Angers et ne réunit seulement que 32 sociétés, essentiellement urbaines. Cette fédération séduit M. COINTREAU, le célèbre liquoriste qui, en grand amateur de Boule de Fort qu’il est, reprend l’idée a son compte.
Les premiers statuts de la « Fédération des Sociétés de Joueurs de Boule de Fort » ont été signés le 13 juillet 1907. Son but était d’encourager et de développer le jeu de la Boule de Fort, de défendre les intérêts des sociétés, d’entretenir entre elles des relations amicales et de leur faciliter l’organisation de concours. Une vingtaine de sociétés de la région d’Angers sont adhérentes. La Fédération, cela a été écrit dans les lignes précédentes, s’est attachée à uniformiser les boules, les terrains et les règlements. Cela à sûrement été un travail de longue haleine car on ne change pas les habitudes ancrées dans la tradition pour se tourner vers de plus vastes horizons. C’est M. COINTREAU qui, en tant que donateur du challenge fédéral, assoit son autorité sur les décisions importantes à prendre.
En 1925 la Fédération devient « Fédération des joueurs de Boule de Fort de la région de l’Ouest ». Son but : défense des intérêts des sociétés et encouragement au jeu dit de la boule de Fort. Le Challenge COINTREAU est devenu le challenge de référence et de plus en plus de sociétés veulent engager leur équipe. Le nombre de sociétés qui adhèrent ne cesse d’augmenter dans des proportions considérables. Pour ne pas limiter les adhésions, il est apparu nécessaire de se démarquer de l’identité angevine et d’élargir le périmètre à l’ensemble de la région de l’ouest, pour que personne ne se sente écarter. Ainsi les sociétés de Touraine, du Maine et de Bretagne rentrent dans la Fédération. Sa principale activité est l’organisation du challenge COINTREAU, si bien que pour beaucoup, dans les esprits, elle est devenue la Fédération du Challenge Cointreau.
Sous le régime de Vichy (en 1942), le Président déclare : « à la suite d’une nouvelle organisation sportive, le jeu de la Boule de Fort est désormais considéré comme un sport ». Les sociétés doivent avoir l’agrément du secrétariat d’état à l’éducation nationale et tous les membres doivent posséder une licence d’affiliation. Une seule fédération regroupe la boule lyonnaise, la boule de fort, la boule de bois et autres variétés de boule. La Préfecture de Maine et Loire recense toutes les sociétés. Mettre les sociétés sous une tutelle d’Etat est une gageure.
En 1945, c’est aussi la Libération dans les sociétés et la Fédération du Challenge Cointreau reprend ses droits. La Fédération compte alors plus de 300 sociétés (dont 35 à Angers). La fédération demeure sous la coupe de M. COINTREAU qui est le financeur exclusif. Son autorité va jusqu’à refuser le Président qui a été pressenti par le Conseil d’Administration, c’est lui qui impose son candidat, une personnalité qui n’est pourtant pas éligible. La maison COINTREAU s’est retirée en 1992 et dans le langage, La fédération COINTREAU est devenue fédération de l’ouest.
Les derniers statuts ont été modifiés en 2000, et il est précisé que la « Fédération des Sociétés et Joueurs de Boule de Fort de la région de l’Ouest » a pour but d’encourager, de développer et de réglementer le jeu de Boule de Fort, de conseiller les sociétés, de les réunir, d’entretenir entre elle des relations amicales et d’organiser des concours fédéraux.
Sa vocation depuis un siècle est de rassembler l’ensemble des sociétés afin que la Boule de Fort puisse parler d’une seule voix et que tous les joueurs pousse la même boule. Plusieurs projets ont été mis en chantier en matière de communication, en direction des services administratifs, en actualisant règlements et statuts, et en exerçant la tutelle de toutes les sociétés auprès des pouvoirs publics. C’est dans cet esprit fédérateur que l’initiative d’un règlement commun a été entreprise. Après plus d’un siècle de compétition, tous les joueurs peuvent enfin jouer à la boule de fort en respectant les mêmes règles qu’ils soient de Vouvray ou de Saint Nazaire ou bien de la Sarthe ou du Saumurois
La Fédération est adhérente à l’Association Européenne des Jeux et Sports Traditionnels. Toutes les cultures régionales se reflètent dans des activités locales à l’abri des pressions médiatiques, des intérêts individuels ou des spéculations financières. Conserver ces jeux traditionnels c’est aussi faire œuvre de sauvegarde de valeurs morales et sociales défigurées. Une petite région isolée ne peut pas se faire entendre par les grands groupes de pression. Regroupés dans une même association, il est plus facile de faire ouvrir la porte d’un ministère pour porter haut la reconnaissance des patrimoines régionaux. Chacun constate que le sport international, standardisé et médiatisé a induit des problèmes graves qui sont vivement remis en cause : doping, hooliganisme, hystérie collective, surenchère financière et chauvinisme. La question est posée de savoir si les jeux traditionnels et populaires ne pourraient pas être une des solutions, non seulement comme modérateurs, mais aussi comme initiateurs d’une nouvelle conception des relations sociales, de par leur ancrage local. La Boule de Fort se reconnaît pleinement à travers les jeux populaires et traditionnels européens pour affirmer que l’expression locale est universelle et que le global n’existe qu’en socialité concrète, régionale et populaire.
Conclusion
Henry COUTANT, directeur du journal « l’Angevin de Paris » déclarait dans son allocution au cours de la célébration 25ème anniversaire de la Fédération : « Si la Boule de Fort occupe dans la vie angevine une place considérable, ce n’est sûrement pas parce qu’elle représente un élément de distraction fort apprécié de nos compatriotes, mais parce qu’elle représente chez nous une tradition et qu’elle fait même partie de notre patrimoine national. J’ajoute que ce jeu porte tellement la marque de notre tempérament angevin, fait de finesse, d’élégance et de mesure, qu’on peut dire qu’il est éminemment représentatif de notre âme angevine ».
A l’origine la société angevine était le réunion conviviale d’un groupe d’amis. S’y est jointe ensuite la passion du jeu de Boule de Fort comme loisir. Le développement de la compétition sportive lui apporte une troisième dimension.
Sans l’organisation des challenges, nos sociétés seraient aujourd’hui désertées et se limiteraient à une simple buvette réservée aux accrocs de la chopine, ce n’est pas l’objectif que les fondateurs s’étaient fixés.
Quand on sait l’affluence à certaines heures de la journée et que l’on participe aux discussions engagées.
Quand on sait la fréquentation les jours de compétition et que l’on admire la prouesse des joueurs.
Quand on sait le taux d’occupation des jeux et que l’on s’engage dans une partie.
Quand on sait que les jeunes et les vieux peuvent jouer ensemble à armes égales.
On se dit alors « Comment tous ces gens là occuperaient ils leurs temps libres ? »
« Dans quels endroits prendraient ils plaisir à se rencontrer ? »
Même si elles sont peu prisées par certains, si les sociétés n’existaient pas, eh bien, il faudrait les inventer.
Bernard GLACIAL