Les Origines
Si les jeux de boules existent depuis l’Antiquité, en Anjou c’est la boule de fort qui domine. Elle appartient au patrimoine culturel ligérien. Son aire géographique correspond pratiquement à l’Anjou historique de Foulques NERRA (vers l’an 1000). Le comté d’Anjou comprenait le Maine et Loire actuel, le sud de la Sarthe et la région de Chinon. Ses origines sont anciennes puisque des jeux couverts existent depuis le 16e siècle.
Sans remonter jusqu’aux Plantagenets (en Angleterre au 12e siècle, on trouve les ancêtres des « bowls » actuelles avec un fort), on évoque en Anjou des boules méplates utilisées par les mariniers de Loire ou par des prisonniers de guerre de LOUIS XIV et de NAPOLÉON. Ainsi, vers 1710-1720, des prisonniers espagnols et des ingénieurs hollandais qui connaissaient la boule plate flamande ou « bourle », furent employés à rehausser la levée de la Loire : ils jouaient dans les fossés réalisés avec des roulements à billes usés venant des moulins à vent.
Une certitude, la boule de fort cerclée de fer a été créée à Mazé en 1865 par le forgeron PINEAU. A Angers, en 1871, Édouard THIBERGE fut le premier tourneur de boule de fort : cette boule a un côté « faible » légèrement évidé en son centre, l’autre côté plus lourd est appelé « fort ». Le bois utilisé est un bois local, surtout du cormier, parfois du frêne ou du buis, en attendant les boules en plastique plus récentes.
Le terrain incurvé était au début aménagé en plein air avec un mélange de sable et de terre du GUÉDENIAU qu’il fallait régulièrement humidifier et rouler. La piste couverte en résine, apparue en 1967, est présente presque partout. Il ne reste que quelques jeux en terre à Cheviré le Rouge et à la Jaille-Yvon. Les fédérations ont imposé des normes : jeu de 5 à 6 mètres de large et long de 18 à 24 mètres. La boule a un diamètre, roulant compris, entre 123 et 127 mm et un poids compris entre 1,2 et 1,5 kg. Le maître a un diamètre compris entre 80 et 90 mm.
Les Sociétés
La boule de fort est pratiquée dans des sociétés rassemblant des hommes ayant les mêmes opinions politiques. Celles-ci se développent surtout après 1830 sous la Monarchie de Juillet et le Second Empire. On y échange des idées républicaines. D’ailleurs, les sociétés se multiplient sous la
Troisième République avec des noms évoquant l’esprit républicain et la convivialité : l’Union, les Amis Réunis, la Concorde, la Paix, l’Alliance, la Fraternelle…
L’Église réagit pour assurer « une bonne éducation » aux jeunes catholiques en favorisant la naissance de sociétés souvent appelées « Cercles » avec le nom d’un saint, en particulier lors de la politique de l’ « Ordre moral » de MAC MAHON après la Commune de 1871. On retrouve cet état d’esprit fin 19e siècle face au développement des sociétés laïques lors de l’Affaire Dreyfus. En 1900, il y a près de 1000 sociétés implantées surtout dans 287 communes du Maine et Loire. Elles pourront se structurer en associations avec la loi de 1901. Mais l’hécatombe de la guerre 1914-1918 et le coût d’entretien feront disparaître près des 2/3 des sociétés.
Ainsi à Saint-Barthélemy d’Anjou, l’abbé VUILLAUME, vicaire de François VINCENT (curé de 1829 à 1884) crée la « Société de Saint-Paul ». Le règlement du 25 juin 1874 précise que cette « Société de plaisirs » regroupe les jeunes qui ont « une bonne conduite religieuse et publique » pour « former une excellente jeunesse d’élite ».
Il y avait en outre deux jeux situés dans des cafés (café PINIER près de l’église) et quatre autres sociétés dont la Société « les Bœufs Noirs » (agriculteurs) créée en 1824, devenue l’UNION et disparue en 1974 et la Société LES ABEILLES créée en 1884 où se retrouvent les « perreyeux », ouvriers des Ardoisières. Si l’académicien catholique René BAZIN est très présent au Cercle Saint-Paul, les laïcs, en particulier certains maires, fréquentent les autres sociétés.
La première Fédération
La première fédération a une origine parisienne. Une amicale créée en 1885 réunit les Angevins de Paris pour le « dîner du vin d’Anjou ». Une brochure est publiée avec ce titre. On y évoque la gastronomie et le vin d’Anjou avec CURNONSKY, élu « Prince des gastronomes » ainsi que la boule de fort.
En 1904 le journaliste Louis VETAULT transforme cette brochure en journal hebdomadaire appelé «l’ANGEVIN DE PARIS». René BAZIN participe au comité de rédaction. Avec le soutien financier d’Edouard COINTREAU, Louis VETAULT et son journal organisent le premier challenge public dans les locaux de la Société «La Boule angevine et tourangelle» créée en 1903 à Asnières.
Ce challenge a lieu les 16 et 17 juillet 1905 après le défilé du 14 juillet à Longchamp. 13 sociétés angevines y participent. L’équipe de l’Ordre des Ponts de Cé, représentée par MM. Delimesle et Hoisnard, l’emporte et organise le challenge de 1906 avec 32 sociétés.
En relatant dans l’Angevin de Paris le challenge 1905, Louis VÉTAULT avait émis l’idée de créer une fédération, mais il meurt en septembre 1906. Son successeur, Henry COUTANT crée, avec un comité provisoire, le 30 juin 1907 la Fédération des Sociétés de Joueurs de Boule de Fort avec 23 sociétés. La Fédération est déclarée en Préfecture le 13 juillet 1907.
Édouard COINTREAU finance en 1908 un trophée sculpté par le Saumurois René GRÉGOIRE et appelé « Le joueur de boule de fort ».
Ce « Petit Bonhomme » (surnom donné par les joueurs) est confié chaque année à la société de l’équipe gagnante de 1908 à 1991, lors du Challenge Cointreau, challenge officiel de la Fédération (sauf de 1915 à 1918). Suite à la loi ÉVIN opposée à la publicité sur les alcools, le Conseil Général de Maine et Loire devient le nouveau partenaire à partir de 1993 (30e challenge départemental en juin 2024).
La Fédération de l'Ouest
La Fédération de 1907 évolue et devient en 1925 la Fédération des Joueurs de Boule de Fort de la Région de l’Ouest avec les statuts d’une association loi 1901. Elle intègre avec les sociétés de l’Anjou, une partie des sociétés de Bretagne, du Maine et de Touraine et impose à tous des règles communes. En 1939, 323 sociétés sont fédérées.
Des fédérations locales ou spécifiques sont créées : la Fédération des Amicales laïques en 1912, celle des Cercles catholiques de l’Anjou en 1926, la Fédération du Saumurois en 1928… D’autres groupements se forment à Angers, en Sarthe, en Touraine. Le groupement d’Angers signe un partenariat avec la Fédération des Sociétés de Bourle du Nord. Les sociétés s’ouvrent aux femmes après 1970, et l’opposition entre sociétés, cercles laïcs et cercles catholiques s’atténue.
En 2000, avec de nouveaux statuts, la Fédération devient Fédération des Sociétés et Joueurs de Boule de Fort de la Région de l’Ouest. Elle adhère à l’Association Européenne des Jeux et Sports Traditionnels (AEJST). En 2006, elle regroupe 373 sociétés sur les 394 recensées. Elle est organisée en 48 sections, dont les responsables ont le pouvoir au sein de la Fédération. Elle annonce environ 45 000 sociétaires, chiffre sans doute exagéré.
La Fédération Française de Boule De Fort
Afin de redynamiser la boule de fort et de la faire reconnaître davantage par les responsables politiques et l’ensemble de la population, un projet de Fédération unique est mis au point par un groupe de travail. Les statuts sont adoptés à Mazé en janvier 2017 par les 48 responsables de sections. Ces statuts démocratiques donnent le pouvoir aux représentants des sociétés adhérentes et le 16 septembre 2017, dans la salle du THV de Saint-Barthélemy d’Anjou, 224 sociétés sur 370 invitées sont présentes.
La transformation de l’ancienne Fédération de l’Ouest en Fédération Française de Boule De Fort (FFBDF) est votée avec 205 oui et 17 non. Elle est organisée en 32 secteurs. Son siège social est implanté à Angers dans les locaux de l’ancienne Société Saint-Vincent, mis à disposition par la ville.
En 2024, la Fédération regroupe 327 Sociétés sur les 376 encore existantes dont 300 en Maine et Loire, 37 en Indre et Loire, 34 en Sarthe, 3 en Loire Atlantique (dont Saint-Nazaire), Blois en Loir et Cher et Bouerre en Mayenne. Les sociétés non-adhérentes se situent dans le Saumurois et en Touraine où subsistent des fédérations locales actives.
Outre le challenge départemental (30e en 2024), la Fédération organise un challenge pour les jeunes (21e en 2024, appelé désormais challenge des jeunes et des collégiens) et un challenge d’automne avec les Caves de Saumur (24e en 2024). Un challenge spécifique est organisé par l’association des « Forts de la Boule » pour les vainqueurs des 32 challenges considérés comme les plus recherchés.
Le comité directeur élu pour 4 ans en 2022 travaille à faire reconnaître le territoire de la boule de fort auprès des élus locaux. Il faut préserver ce patrimoine bâti. Les sociétés vieillissent. Le coût d’entretien ou de reconstruction des jeux (tous les 15/20 ans) ainsi que des bâtiments est de plus en plus élevé.
Les responsables poursuivent le développement des Sociétés « Cœur de Village » reconnues comme lieux de rencontre et de convivialité dans les petits villages et les zones touristiques. La Fédération veut développer l’ouverture aux femmes et aux jeunes : la boule de fort, élément du patrimoine culturel ligérien, joue un rôle social essentiel, en particulier pour les seniors. Mais elle doit s’ouvrir pour assurer sa pérennité en s’appuyant sur ses 20 à 25 000 sociétaires actuels (ce nombre est déterminé sur la distribution des cartes fédérales).
Jean-Claude CHAUVAT (Cours 1964)
Secrétaire du Cercle Saint-Paul
Ancien secrétaire de la FFBDF